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Le Droit de l'Entreprise

DROIT DU TRAVAIL
La preuve de l'inégalité de traitement entre hommes et femmes au sein de l'entreprise
Publié le 12/09/2003
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Il est encore difficile, pour les femmes qui le souhaitent, d'avoir, à diplôme équivalent, la même carrière professionnelle que celle des hommes. Il s'agit, en France, d'un véritable fait social et culturel. Les sociologues parlent parfois d'un " plafond de verre ", invisible et qui cependant constituerait pour beaucoup de femmes un obstacle à l’évolution professionnelle.

Cette situation est liée en grande partie aux choix que les femmes sont amenées à faire, notamment en raison de la répartition inégale des tâches relatives à l'éducation des enfants et à l'organisation de la vie familiale. Pour cette raison, les femmes occupent fréquemment - et sont fréquemment choisies pour occuper - des emplois qui donnent moins facilement accès à la promotion et, le cas échéant, aux postes d'encadrement et de direction. Les hommes conservent, quant à eux, l'idée selon laquelle ils peuvent s'investir sans compter dans leurs projets professionnels et confier à leur conjoint le soin d'organiser la vie familiale et d'accomplir la majeure partie des tâches domestiques.

Le résultat de ce "schéma intellectuel", qui se traduit par ce que les économistes dénomment "la spécialisation sexuelle des emplois", se fait sentir sur le plan de l'accès à la formation interne, de la promotion, de la carrière et des rémunérations. Les rémunérations des femmes sont, en conséquence, inférieures, en moyenne, de 26% à celle des hommes (étude Insee d’août 2001). Il s'ensuit, également que 77 % des hommes en âge de travailler occupent un poste à temps plein, contre seulement 45 % des femmes.

Mais il existe également des hypothèses dans lesquels la différence de traitement ne tient pas à un moindre investissement professionnel - subi ou choisi - ou à la différence de situation entre les hommes et les femmes.

Dans beaucoup entreprises, en effet, à formation, emploi et investissement professionnels équivalents, les hommes et les femmes n'ont pas la même rémunération, ni la même carrière. Les entreprises doivent veiller à éviter de telles disparités, sauf à s'exposer et à exposer leurs dirigeants à des poursuites, y compris sur le plan pénal.

Le principe d'égalité de traitement dans l'entreprise

Le principe d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans l'entreprise a été introduit par la loi du 22 décembre 1972 (articles L. 140-2 et s. du Code du travail). Il a été renforcé par la loi du 13 juillet 1983, dite "loi Roudy", dont le dessein était de mettre un terme à la discrimination entre les sexes à tous les stades de la relation de travail, soit au niveau du recrutement, de la rémunération, de la formation et de la promotion. La loi "Génisson" du 9 mai 2001 a renforcé encore le dispositif légal, en créant notamment une obligation de négocier l’égalité professionnelle dans les entreprises. Un décret d'application de cette loi, en date du 12 septembre 2001, détaille les indicateurs concernant la rémunération afin d’analyser la situation des hommes et des femmes dans l’entreprise.

Le champ de l'article L. 122-45 du code du travail a, enfin, été étendu et vise, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations, les "mesures discriminatoires, directes ou indirectes, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat" notamment en raison de l'identité sexuelle du salarié.

 

La prohibition, qui en découle, de toute discrimination en considération du sexe, clairement affirmée par l'article L. 123-1 du Code du travail, est assortie de sanctions pénales relativement sévères, prévues notamment par l'article L. 152-1-1 du Code du travail (soit un emprisonnement d'un an et une amende de 3.750 € ou l'une de ces deux peines seulement).

De plus, en cas de contentieux, les deux parties n'ont plus l'égalité des armes. Le salarié bénéficie désormais d'une présomption légale, dès lors qu'il fournit des éléments qui "laissent supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte". Lorsque que ces conditions sont réunies, il appartient à l'employeur de prouver l'absence de discrimination en démontrant l'inexistence d'une égalité de traitement ou, si elle existe, qu'elle est objectivement justifiée.

Règles générales

La preuve est, en principe, libre en matière prud’homale , de sorte que la question de la légalité de la preuve ne se pose pas, dès lors qu'elle est recevable, comme n'ayant pas été obtenue par des moyens illicites . Depuis quelques années, la preuve, en matière de discrimination sexiste, obéît néanmoins à des règles assez strictes. Le législateur a notamment défini les éléments de preuve qui doivent être fournis par l'employeur pour établir l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes ou, le cas échéant, la justification de l'inégalité.

Il appartenait, jusqu'à la fin des années 1990, au salarié qui se prétendait lésé par une mesure discriminatoire ou victime d'une inégalité de traitement - comme à toute personne présentant une demande devant une juridiction judiciaire - de fournir les éléments nécessaires à la justification des ses prétentions. En d'autres termes, le salarié avait la charge de la preuve de la discrimination.

La directive n°97/80/CE du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondées sur le sexe est venue renverser la charge de la preuve, au profit du salarié. L'article 4, alinéa 1, de cette directive dispose que "Les États membres, conformément à leur système judiciaire, prennent les mesures nécessaires afin que, dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement."

Dans ce régime de preuve, le salarié est toujours tenu d' "établir" les faits qui sont susceptibles de caractériser la discrimination. Par ailleurs, l'employeur peut fournir au juge tout élément de justification utile à sa démonstration.

En France, une décision est venue, à la fin de l'année 1999, améliorer nettement le sort du salarié en le déchargeant presque complètement de son obligation d'établir l'existence de la discrimination et en précisant les éléments de preuve qui devaient être fournis par l'employeur pour combattre la présomption.

La Cour de cassation a considéré que "s'il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes, il incombe à l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire de cette mesure, d'établir que la disparité de situation ou la différence de rémunération constatée est justifiée par des critères objectifs, étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe" (Cour de cassation, 23 novembre 1999 CEA c. S., pourvoi n° 97-42.940 ; commentaires M.T Lanquetin dans Dr. Soc. 2000, P. 589 et de J.E Tourreil dans la RJS).

De sorte la preuve de l'absence de discrimination est souvent délicate à apporter par l'employeur. A lire l'arrêt du 23 novembre 1999, la Cour de cassation n'opère pas seulement un renversement de la charge de la preuve. Elle limite, de plus, les éléments de preuve que l'employeur peut fournir utilement au juge pour combattre la présomption, en exigeant des éléments "objectifs".

Dans son arrêt L'OREAL du 10 octobre 2000, la Cour de cassation a confirmé cette solution - étendant cette solution à tous les salariés, indépendamment de leur identité sexuelle - en rappelant qu'il incombait à l'employeur contestant le caractère discriminatoire du traitement réservé au salarié qui a soumis au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de rémunération, d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ,

La loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations a transposé la règle de la directive n°97/80/CE du 15 décembre 1997, tout en consacrant la jurisprudence de la Cour de cassation, pour modifier l'article L. 122-45 du Code du travail.

L'article L. 122-45, alinéa 4 du Code du travail se lit désormais de la manière suivante : "En cas de litige relatif à l'application des alinéas précédents, le salarié concerné ou le candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles."

Le champ d'application de cette règle est plus étendu qu'il y paraît à première lecture. Les dispositions de cet article s'appliquent tant au recrutement et au déroulement de carrière qu'à la rémunération des salariés.

La preuve de l'inégalité de rémunération (limites du pouvoir d'individualisation des rémunérations)

Le principe "à travail égal, salaire égal"

Le chef d'entreprise peut, dans l’exercice de son pouvoir de direction, fixer, pour des personnes exerçant des fonctions similaires, des rémunérations différentes, pour tenir compte notamment de leur expérience ou de leurs qualités professionnelles. A titre d’exemple, le seul fait, pour un employeur, d’accorder des augmentations de salaire à certains seulement des salariés, faisant partie d’une catégorie, en prenant en considération leurs qualités professionnelles ne constitue pas un traitement discriminatoire par rapport aux autres salariés .

En revanche, il résulte du principe "à travail égal, salaire égal" que l’employeur ne saurait faire de discriminations injustifiées entre les salariés - de l’un ou l’autre sexe - dès lors que ceux-ci sont placés dans une situation identique .

Dans une décision PEINTAMELEC du 26 novembre 2002 , la Cour de cassation a réaffirmé, au sujet d'une affaire concernant un salarié qui prétendait faire l'objet d'une discrimination salariale, que l'employeur devait rapporter la preuve que l'inégalité de traitement dont le salarié a(vait) été la victime reposait sur un critère objectif.

En l'espèce, l'employeur s'appuyait, pour justifier l'inégalité de traitement, sur un critère que la Cour d'appel et la Cour de cassation ont considéré comme subjectif et par conséquent non susceptible de constituer une justification, à savoir "la médiocre qualité du travail accompli par l'intéressé"

En d'autres termes, et pour schématiser les décisions contrastées de la Cour de cassation, il est possible, pour l'employeur, de faire valoir que les salariés mieux rémunérés ont des compétences que les autres n'ont pas, mais non que les salariés les moins bien rémunérés n'ont pas les compétences requises. Ces distinctions subtiles risquent probablement de dérouter tant les plaideurs que les juridictions prud'homales.

L'égalité de rémunérations entre les hommes et les femmes

Dans son arrêt PONSOLLE du 29 octobre 1996 , la Cour de Cassation rappelle en effet que "l’égalité de rémunération selon les sexes n’est que l’application d’un principe général du droit "à travail égal, salaire égal" ".

L'égalité de rémunération n'est donc pas une égalité au sens mathématique du terme, mais l'égalité de traitement imposée par la loi. Il s'agit de comparer les rémunérations de deux ou plusieurs salariés placés dans la même situation.

Les questions, distinctes en théorie, de l'existence d'une discrimination sur le plan salarial et d'une justification de cette discrimination par des critères objectifs sont, en pratique, sur le plan de la preuve, difficiles à distinguer. Par hypothèse, l'existence de critères objectifs, étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, justifiant la différence de rémunération, postule la différence de situation entre les salariés dont les rémunérations sont comparées.

Le juge présume, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 16 novembre 2001, de l'existence d'une discrimination sur le plan salarial à partir d'éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, à savoir de simples commencements de preuve, voire d'indices.

De sorte que, très souvent, l'essentiel de l'effort de preuve - qui incombe à l'employeur - porte non pas sur l'existence d'une discrimination, mais, le plus souvent, sur l'existence de critères objectifs justifiant la différence de rémunération.

L'employeur peut, en pratique, être amené à démontrer la différence de pénibilité des travaux, la différence dans les responsabilités attribuées, la différence quant à l'expérience acquise, la différence quant aux contraintes auxquelles sont soumis les salariés (travail le soir, le week-end, la nuit, astreintes...).

La preuve de l'inégalité de traitement dans le déroulement de la carrière

L'employeur est, sans aucun doute, en droit de prendre en considération les compétences techniques des salariés dans le cadre de la classification des salariés et de la promotion interne. Mais il ne peut, en revanche, sauf à se voir reprocher une inégalité de traitement, utiliser des critères subjectifs pour attribuer de manière arbitraire qualifications, formations et promotions.

La Cour de cassation avait décidé, avant la loi du 16 novembre 2001, que le fait qu'une femme n'ait jamais accédé à des fonctions d'encadrement n'était pas, en l'espèce, discriminatoire, dès lors que l'employeur avait établi - en s'appuyant sur éléments de preuve précis - que ses insuffisances techniques et ses difficultés relationnelles étaient à l'origine des limites à son déroulement de carrière (Cass., Soc., 28 juin 2000, pourvoi n 98-41.278).

Les "insuffisances techniques" de la salariée peuvent être considérées comme des critères objectifs justifiant une inégalité de traitement.

L'employeur doit donc prendre garde aux termes qu'il utilise pour démontrer l'existence des éléments objectifs justifiant l'inégalité de traitement. L"'insuffisance technique" répondrait aux exigences de la jurisprudence (décision rendue avant la loi du 16 novembre 2001) tandis que la "la médiocre qualité du travail accompli" n'y répondrait pas. Au-delà des éléments de preuve produits aux débats, l'effort de preuve qui pèse sur l'employeur peut s'apparenter parfois à un exercice de style.

Dans un arrêt rendu le 13 février 2002 , la Cour de Cassation a décidé que les différences de classification des salariés occupant un même emploi constituent une disparité qui ne peut être justifiée que " par des critères objectifs étrangers à toute discrimination ".

Dans certaines entreprises, comportant un assez grand nombre d'employés ou d'ouvriers occupant le même emploi, il est possible d'utiliser les statistiques comme indices de l'existence d'une disparité et de l'existence (ou de l'absence) de justification objective. Tel fut le cas dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt du 13 février 2002, qui concernait une employée d'une société d'autoroute. La Cour de cassation a considéré que " sans rechercher, alors qu'elle a constaté que 60 % des salariés, occupant le même emploi que Mme G. étaient classés à l'échelle VII, si cette disparité de situation était justifiée par des critères objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ".

Mais cette méthode n'est pas nécessairement opérante lorsqu'il s'agit d'entreprises employant un grand nombre de cadres ou de salariés très spécialisés, qui occupent des emplois différenciés.

Une décision rendue en matière de référé le 25 mars 2003 (Cour d'appel de Montpellier, 25 mars 2003, IBM c. B.), au sujet d'une salariée de la société IBM FRANCE qui prétendait n'avoir pas eu la même progression de carrière que ses collègues masculins ayant un même niveau de compétence, a fait couler beaucoup d'encre.

Madame B., demandait, à titre principal, de faire cesser le trouble illicite caractérisé par le maintien, pendant 12 ans, au coefficient 285 de la classification conventionnelle, pour ordonner son classement au coefficient 114 du niveau cadre 2-1. Pour accueillir cette demande, et condamner l'employeur à payer une indemnité provisionnelle, la Cour d'appel a retenu que la société IBM FRANCE n'avait pas rapporté la preuve, à sa charge, que la situation de Madame B. par rapport à celle des hommes entrés en même temps qu'elle chez IBM, avec un niveau de compétence égal, était étrangère à toute discrimination en raison du sexe.

La Cour d'appel a pris en considération l'attitude de l'employeur au cours de l'expertise judiciaire et à la suite du dépôt du rapport d'expertise, l'employeur s'étant, selon la Cour, "born(é) à des pétitions de principe et à la production d'éléments étrangers au débat" après avoir "refusé de [...] produire à l'expert"..."les éléments de comparaison utiles".

L'arrêt IBM du 25 mars 2003 a pour mérite d'éclairer les employeurs sur les diligences à accomplir devant les juridictions prud'homales. Ils ont, ici comme ailleurs, tout intérêt à être "transparents", en fournissant au juge et, le cas échéant, à l'expert judiciaire, tous les éléments utiles en leur possession, pour justifier les éventuelles disparités, sauf à risquer de voir le juge tirer, à leur détriment, les conséquences de leur mauvais vouloir.

Avec l'aimable autorisation de la revue "jurisprudence Sociale Lamy" (n° 125 du 11 juin 2003)

Pascal ALIX
Avocat à la Cour



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