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Le Droit de l'Entreprise

DROIT DE L'INTERNET
L'IP n'identifie pas l'auteur d'une infraction
Publié le 06/04/2010
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Par un arrêt du 1er février 2010[1], la Cour d'appel de Paris s'est alignée sur la décision rendue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 13 janvier 2009[2] sur la question de savoir si l'adresse IP[3] d'un internaute permet d'identifier l'auteur d'une infraction. Selon la Cour, si une adresse IP peut effectivement être utilisée pour caractériser l'infraction de téléchargement illicite de fichiers, cette adresse IP seule ne saurait permettre d'identifier l'auteur de l'infraction. La Cour d'appel de Paris applique ici cette solution à un délit de contrefaçon.

Faits de l'espèce

Via un logiciel de P2P[4], des internautes s'échangeaient et mettaient à disposition des fichiers illégalement téléchargés. Cela n'a pas échappé à la vigilance d'un agent de la SACEM[5] qui y a vu un délit de contrefaçon[6], non contesté en l'espèce[7]. A ce titre, l'agent a recherché le titre d'une œuvre d'un adhérent de la SACEM via le logiciel, et a alors pu obtenir des renseignements quant à l'adresse IP d'un internaute, le nombre d'œuvres musicales qu'il partageait, le nom de son fournisseur d'accès à Internet etc. L'agent a alors fait une copie d'écran[8] de ces informations. En tant qu'agent assermenté, l'employé de la SACEM pouvait parfaitement effectuer cette opération[9].

Une plainte a été déposée, à la suite de laquelle le parquet a adressé une réquisition auprès du fournisseur d'accès pour obtenir les détails quant à l'internaute dont l'adresse IP avait été relevée par l'agent assermenté. De cette façon, le nom de l'abonné et de l'utilisateur de logiciel de P2P a pu être connu.

Quid de l'utilité de l'adresse IP relevée ?

La question qui s'est posée au juge est double : il s'agissait de savoir si les procédés employés par la SACEM correspondaient à des traitements automatisés soumis à la loi CNIL[10], et par la réponse à cette question, de savoir si l'adresse IP relevée permettait uniquement de matérialiser l'infraction ou bien si celle-ci permettait également de déterminer l'identité de l'auteur de l'infraction.

Sur le traitement automatisé

« Considérant qu'il est incontestable que les constatations visuelles effectuées sur internet et les renseignements recueillis en exécution de l'article 331-2 du Code de la propriété intellectuelle par l'agent assermenté de la "SACEM", qui sans recourir à un traitement préalable de surveillance automatisé, utilise un appareillage informatique et un logiciel de "pair à pair"[11], pour accéder manuellement, aux fins de téléchargement, à la liste des œuvres protégées irrégulièrement proposées sur internet par un internaute, dont il se contente de relever l'adresse "IP" pour pouvoir localiser son fournisseur d'accès en vue de la découverte ultérieure de l'auteur des contrefaçons, rentrent dans les pouvoirs conférés à cet agent par la disposition précitée, et ne constituent pas un traitement automatisé de données à caractère personnel relatives à ces infractions ».

La Cour d'appel de Paris retient donc que le fait pour l'agent assermenté d'accéder manuellement à la liste des fichiers téléchargés illégalement ainsi qu'à l'IP, ne constitue pas un traitement automatisé. Le simple fait de relever l'adresse IP par une capture d'écran ne constitue donc pas un traitement de données qui serait soumis à la loi CNIL[12].

Sur l'utilité de l'adresse IP pour caractériser l'infraction

Si en l'espèce le caractère « automatisé » du traitement n'a pas été retenu, le caractère de « données personnelles » d'une adresse IP n'est pas non plus démontré[13] :

« Considérant au surplus que les constatations de l'agent assermenté ayant abouti au relevé de l'adresse "IP" de l'ordinateur ayant servi à l'infraction, ne constituent pas davantage un traitement de données à caractère personnel relatives à des infractions relevant de l'article 9-4 de la loi du 6 janvier 1978, le dit relevé entrant dans le constat de la matérialité de l'infraction et pas dans l'identification de son auteur, les éléments de la procédure démontrant que c'est seulement la plainte de la "SACEM" auprès de la gendarmerie, puis les investigations opérées par ce service après réquisitions auprès de l'autorité judiciaire, notamment auprès du fournisseur d'accès à internet, qui ont conduit à l'identification de Cyrille S. comme étant l'internaute utilisateur de l'ordinateur ayant servi au téléchargement frauduleux ».

La Cour statue donc en faveur de la SACEM, car même si l'adresse IP ne constitue pas une donnée personnelle permettant l'identification de l'Internaute, ce sont les investigations judiciaires à partir de cette IP qui ont permis l'identification de l'auteur ayant commis le délit de contrefaçon. Au plan civil, l'auteur de l'infraction[14] a ainsi été condamné à verser 800 Euros à titre de dommages et intérêts à la SACEM pour utilisation illégale des fichiers musicaux.

Portée de la décision

Finalement, l'adresse IP n'est pas l'élément qui permet l'identification de l'auteur de l'infraction, néanmoins elle y conduit à travers les réquisitions menées au moyen de celle-ci.

Cette construction juridique, critiquée par certains, s'inscrit dans le contexte actuel, notamment à la suite des arrêts du Conseil d'Etat de 2007[15] qui ont annulé les refus opposés par la CNIL à l'égard de ces traitements de données personnelles. Ainsi, la SACEM se voit reconnaitre le droit de pratiquer des tels actes sans passer par la case CNIL puisque l'adresse IP ne permet pas une reconnaissance directe de l'identité de l'auteur de l'infraction.



[3] Internet Protocol : numéro qui permet d'identifier chaque ordinateur connecté à Internet.

[4] P2P, ou « Peer to peer », ou « pair à pair » : système de connexion d'ordinateurs de poste à poste sans passer par un serveur central

[5] Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique : société de gestion des droits d'auteur chargée d'une mission de service public

[7] La Cour a ici considéré que le téléchargement non autorisé d'œuvres musicales constitue des actes de reproduction et de représentation et l'exception pour copie privée ne peut pas s'appliquer du fait que ce dispositif repose sur le partage et l'échange de fichiers.

[8] Consiste à copier sous forme d'image les informations qui apparaissent sur un écran d'ordinateur à un moment donné. Peut ensuite être utilisé comme moyen de preuve, sous certaines conditions.

[9] Conformément aux dispositions de l'article L331-2 du Code de la propriété intellectuelle.

[11] Ou « P2P », ou « Peer-to-peer », voir note 4, supra

[12] Loi Informatique et Libertés, du 6 janvier 1978, n°78-17

[13] au regard de la loi Informatique et Libertés du 6 juillet 1978

[14] Qui d'ailleurs n'était pas le titulaire de l'adresse IP, car l'auteur de l'infraction utilisait l'ordinateur d'un tiers

Pascal ALIX
Avocat à la Cour



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