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Le Droit de l'Entreprise

DROIT DE L'INTERNET
Le droit des jeux en ligne (II)
Publié le 11/09/2009
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Les mondes virtuels sont, sur le plan juridique, l'empire… de la complexité. Œuvre juridique complexe selon la Cour de cassation, comme empruntant à plusieurs régimes juridiques qui doivent être combinés, le jeu vidéo en ligne est le lieu d'actions licites, illicites et accidentelles dont le traitement s'organise en pratique, sans qu'aucune solution juridique ne soit encore définitivement fixée.

I. Le jeu vidéo en tant qu'oeuvre de l'esprit

La jurisprudence était fluctuante quant à la qualification du jeu vidéo, dont dépend son régime juridique. La jurisprudence et la doctrine hésitaient en effet entre conception unitaire (logiciel ou oeuvre audiovisuelle) et conception distributive (superposition des régimes juridiques de chaque composante du jeu : scénario, éléments logiciels, graphiques, sonores, etc.), ainsi qu'entre qualification d'oeuvre collective ou d'oeuvre de collaboration [1].

La Cour de cassation s'est récemment prononcée sur la qualification juridique du jeu vidéo (Cass. Civ. 1, 25 juin 2009, pourvoi n° 07-20387). Statuant dans l'affaire Cryo [2], la première chambre civile de la cour de cassation a finalement tranché en suivant la position de la cour d'appel de Paris et en rompant, au demeurant, avec sa jurisprudence antérieure [3].

Elle retient qu'un jeu vidéo est "une oeuvre complexe qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle, quelle que soit l'importance de celle-ci, de sorte que chacune de ses composantes est soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature".

La cour de cassation confirme donc que le jeu vidéo n'est pas qu'un logiciel, ce qui permet d'éviter l'application du régime spécifique du logiciel à l'ensemble du jeu, en particulier la rémunération forfaitaire de la cession des droits d'auteur. Au contraire, le régime juridique de chacun des éléments originaux du jeu trouvera à s'appliquer.

En l'espèce, il s'agissait des compositions musicales intégrées dans le jeu : les redevances doivent être payées à la société de gestion collective des droits d'auteur dont les compositeurs étaient membres (la SESAM), peu important que les compositeurs aient été salariés et rémunérés comme tels par l'éditeur du jeu. Le régime du droit d'auteur s'appliquant, la reproduction des compositions nécessitait l'autorisation de l'auteur et celle de la société de gestion collective.

Une telle conception pluraliste du jeu vidéo et l'application de plusieurs régimes juridiques à une même oeuvre entraînera sans doute des difficultés en pratique. La solution dégagée doit-elle s'appliquer à toutes les composantes du jeu ou seulement aux éléments séparables ? [4]

Les sociétés éditrices de jeux vidéo devront, en toute hypothèse, veiller au respect des droits d'auteur des différents intervenants dans la création du jeu vidéo.

II. Les jeux vidéo en ligne : les droits respectifs de l'éditeur et des joueurs

Ces développements concernent les relations entre l'éditeur d'un jeu vidéo en ligne et les joueurs.

Ces relations sont contractuelles : pour accéder au jeu, les joueurs doivent accepter le contrat de licence d'utilisateur final (CLUF) dans lequel l'éditeur définit les règles du jeu et les conditions d'utilisation du site. Bien souvent, les CLUF et les conditions d'utilisation ne sont pas lus et les joueurs n'ont pas conscience d'être tenus par de quelconques obligations, à part peut-être celle de payer le prix de l'abonnement.

Pourtant, les CLUF vont permettre de répondre à un certain nombre de questions, dans un sens le plus souvent favorable à l'éditeur.

1) La question de la propriété sur les objets numériques

On peut s'interroger sur la reconnaissance d'un droit de "propriété" (intellectuelle) du joueur sur les objets virtuels, en raison du temps, de l'argent (coût de l'abonnement et/ou utilisation d'une devise virtuelle) et du "travail" consacrés à leur acquisition.

Le plus souvent, les CLUF dénient clairement tout droit de propriété aux joueurs, l'éditeur se considérant comme le seul propriétaire du jeu, du logiciel et de l'ensemble des éléments tels que les avatars, objets, pièces... [5]. Il n'est conféré au joueur qu'un simple droit d'utilisation du programme.

En conséquence, la plupart de ces CLUF interdisent toute vente, échange ou mise aux enchères des objets numériques dans le monde réel [6]. Le commerce parallèle des objets virtuels porte en effet largement préjudice aux éditeurs.

Or, on peut s'interroger sur la valeur de ces clauses en droit français. Si elles peuvent être facilement admises en ce qui concerne la propriété "réelle" des objets virtuels, il n'en va pas toujours de même concernant la propriété intellectuelle.

Le Forum des droits sur Internet semble admettre que lorsque le joueur crée un objet virtuel original en utilisant les outils techniques fournis par l'éditeur, cet objet pourrait être protégé par le droit d'auteur. Si l'objet est créé dans un contexte plus encadré, la qualification d'oeuvre dérivée pourrait être retenue et son exploitation (sa vente) devrait être autorisée par l'éditeur, auteur de l'oeuvre première [7].

Certains CLUF peuvent alors prévoir une cession automatique des droits de propriété intellectuelle des joueurs à l'éditeur. Or, en droit français, outre que la cession globale des oeuvres futures est nulle, le domaine d'exploitation des droits d'auteur cédés doit être délimité (étendue, destination, lieu et durée) [8]. Une clause de cession rédigée trop largement ne serait pas valable.

A notre connaissance, la jurisprudence française ne s'est pas encore prononcée sur la question.

2) La question de la responsabilité de l'éditeur en cas de dysfonctionnements, de perte des données...

Là encore, les CLUF règlent la question en déclinant le plus souvent toute responsabilité en cas d'interruption du service ou de tout autre événement pouvant entraîner la perte de données [9].

Un utilisateur pourrait parfois (selon la rédaction des clauses) contester ce type de clause sur le fondement du droit de la consommation et de la législation sur les clauses abusives.

Par ailleurs, il convient de signaler une décision chinoise du 18 décembre 2003 qui a déclaré une société de jeu en ligne responsable du préjudice causé à un joueur pour un vol d'objets virtuels commis par un autre joueur [10].

C'est sur le fondement du manquement à son obligation de sécurité de ses serveurs que la société a été condamnée, les failles ayant permis au joueur de commettre le vol virtuel. La société s'est alors vue ordonner de restaurer les éléments perdus.

Il n'est pas impossible de rencontrer une décision similaire en France dans l'avenir, sous réserve de reconnaître la notion de "propriété virtuelle".

3) La question des sanctions prononcées dans les jeux en ligne

En cas de non-respect des dispositions du CLUF et/ou des conditions d'utilisation, l'éditeur se réserve la possibilité de prononcer des sanctions, telles que la suspension temporaire de l'abonnement voire la fermeture définitive du compte de l'utilisateur. Souvent, il confie ce pouvoir de sanction à certains joueurs, appelés maîtres du jeu et agissant bénévolement.

Quelle est la portée de ces décisions ? La jurisprudence concernant les modérateurs de forums de discussion pourrait, à notre avis, être transposable en la matière [11]. Or, cette jurisprudence reconnaît aux modérateurs le pouvoir de prendre des mesures d'ordre interne justifiées par un comportement contre lequel l'utilisateur a été mis en garde, dans les limites de l'abus de droit.

Pour éviter un tel abus de droit, les recommandations du Forum des droits sur Internet peuvent être utiles pour les éditeurs : prévoir un mécanisme gradué de sanctions, informer l'utilisateur sur la durée, les raisons de la sanction et la procédure de contestation [12]...

4) Quid de l'organisation au sein du jeu en ligne ?

Outre les conflits entre éditeurs et joueurs, il peut exister des conflits entre joueurs à l'intérieur du jeu. En particulier, si la propriété d'un objet virtuel n'est pas encore juridiquement admise dans le monde réel, elle peut très bien donner lieu à des conflits au sein du jeu. De même, on constate que des délits et crimes sont commis dans les mondes virtuels (vol, viol...)

En-dehors de l'incertitude juridique en ce qui concerne la question de la poursuite, de la condamnation, devant des instances judiciaires bien réelles, des crimes et délits virtuels et de la réparation des "préjudices virtuels", on a pu constater la création dans certains mondes virtuels d'une autorité de régulation chargée de résoudre les conflits, notamment en matière de propriété virtuelle [13].

Si les joueurs reproduisent, dans le monde virtuel, les mêmes problèmes que dans le monde réel, la solution, de bon sens, consiste en effet à adapter les institutions du monde réel qui fonctionnent...

Par Me Pascal ALIX et Me Tuyêt-Thi NGUYEN,
Avocats à la Cour.
Virtualegis

NDLR : Cet article a fait l'objet d'une première partie publiée sur Virtualegis :
- Le droit appliqué aux jeux en ligne (partie 1)

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1 Sur cette distinction, voir notre précédent article

2 V. CA Paris, 3e ch. section B, 20 septembre 2007, SESAM]

3 V. Cass. Civ. 1, 27 avril 2004, Bull. I, n° 117, qui retenait implicitement l'application d'un régime unitaire, celui du logiciel ; V. également Cass. Crim., 21 juin 2000, pourvoi n° 99-85154, Midway

4 V. J. Dong, Qualification juridique du jeu vidéo : épilogue des arrêts Cryo

5 Par exemple les CLUF de Dark Age of Camelot ou de World of Warcraft : V. Uther, La vente d'objets virtuels dans les MMOG/MMORPG

6 Cependant, certains CLUF autorisent ces pratiques en les encadrant par la mise à disposition de plates-formes d'échange dont l'utilisation est régie par les règles du jeu.

7 Fiche pratique du FDI "Ai-je des droits sur les objets numériques d'un jeu vidéo en ligne ?"

8 Article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle

9 V. H. Nsiangani, La propriété dans l'univers virtuel

10 V. S. Guerrero, Vol virtuel… condamnation réelle !

11 V. Jurisexpert.net, Les sanctions des jeux vidéo en ligne

12 V. Recommandation Jeux vidéo en ligne : Quelle gouvernance ?, p. 61

13 V. Uther, La vente d'objets virtuels dans les MMOG/MMORPG

Pascal ALIX
Avocat à la Cour



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