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Le Droit de l'Entreprise

DROIT DU TRAVAIL
Le télétravail salarié peut-il être imposé par l'employeur ?
Publié le 01/12/2001
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Le télétravail à domicile est souvent présenté comme un moyen de concilier vie professionnelle et vie privée. Ce nouveau mode d'organisation du travail est assurément de nature à améliorer les conditions de vie d'un certain nombre de salariés. Les avantages, du point de vue du salarié, sont nombreux :

  • la suppression de la perte de temps et du stress liés au trajet domicile / travail;
  • une meilleure gestion de l'emploi du temps;
  • la possibilité d'installer son domicile hors des centres urbains pour profiter d'un cadre verdoyant,
  • une meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie de famille,
  • et une responsabilisation accrue (v., par ex., notre ouvrage, Comprendre et pratiquer le télétravail, ed. Lamy/Les Echos, 2001, p. 15; v. également A. BEREZIAT, J. LAGORCE, N. TURBE-SUETENS, Travail et activités à distance, Editions d'Organisation, 2000, p. 32 et s.).

Cette idée commence également à séduire les entreprises, qui y voient, à juste titre :

  • la possibilité de réduire l'espace bureau et d'effectuer, ainsi, des économies de loyers;
  • une chance d'augmenter la productivité des salariés (moins fatigués et moins stressés);
  • la possibilité de réduire sensiblement l'absentéisme (notamment celui lié aux arrêts de travail pour maladie);
  • une suppression des difficultés liées au trajet domicile/travail (retards le matin);
  • et, pour les groupes de sociétés habitués à de fréquents déménagements, une réduction sensible des questions délicates liées aux changements de lieux d'affectations.

Or, les conditions techniques, économiques et juridiques de la mise en place du télétravail salarié, et en particulier du télétravail salarié à domicile, sont désormais réunies :

  • aucun obstacle juridique à la mise en place d'une telle organisation de travail (reconnaissance implicite du télétravail par le Gouvernement, dans plusieurs réponses ministérielles);
  • une réduction constante et sensible du coût des matériels informatiques;
  • une augmentation constante des vitesses de connexion;
  • une bonne communication entre tous les ordinateurs permise par le protocole TCP/IP issu de l'internet;
  • des logiciels et des interfaces permettant une communication rapide et aisée entre des collègues distants (messagerie électronique et partage de fichiers et, pour les entreprises plus avancées, travail collaboratif et visioconférences);
  • une convergence des médias permettant une excellente convivialité (par ex. visualisation d'animations, communication de fichiers audio et/ou video);
  • un dispositif fiscal facilitant le don aux salariés de matériels informatiques neufs (permettant l'apprentissage ludique - hors des heures de travail - des nouvelles technologies).

Tout est prêt pour un passage en douceur du travail "dans les murs" au travail à domicile.

Le passage au télétravail modifie le lien salarial et suppose un accord de la part du salarié

Mais - puisqu'il y a un mais - ces avantages supposent une volonté, chez l'employeur comme chez le salarié, de modifier l'organisation du travail.

Le changement du lieu de travail n'est qu'un des multiples aspects du passage du travail dans les locaux de l'entreprise au travail à distance.

A titre d'exemple, la participation du télétravailleur aux relations collectives (contacts avec les représentants du personnel, contacts avec les délégués syndicaux, activités syndicales) s'envisage différemment lorsque le travail exécute son travail pour l'essentiel à son domicile. Cette participation s'exerce le plus souvent à distance, par exemple via l'intranet de l'entreprise. Par ailleurs, les modes de contrôle du travail effectué (qu'il s'agisse de la quantité de travail, de sa qualité ou des horaires effectués) sont modifiés. La notion de temps du travail est également modifiée, puisqu'il est plus facile de "vaquer librement à ses occupations personnelles" (selon les dispositions de l'article L. 212-4 du Code du travail définissant le travail effectif) en étant hors de l'entreprise que dans les locaux de l'entreprise, sous les yeux de son supérieur hiérarchique, à la disposition duquel le salarié demeure nécessairement (v. également la délicate question des astreintes à domicile qui, si elle sont plus facile à exécuter à son domicile, notamment lorsqu'il s'agit d'astreintes de nuit, sont soumises à un régime encore mal déterminé).

Pour les spécialistes du télétravail qui examinent cette nouvelle organisation du travail sous l'angle de la gestion des ressources humaines, le télétravail à domicile doit, compte tenu de ses particularités, faire l'objet d'une démarche volontaire de la part du salarié (A. BEREZIAT, J. LAGORCE, N. TURBE-SUETENS, Travail et activités à distance, Editions d'Organisation, 2000, p. 59 et suivantes).

On insiste fréquemment, au reste, sur le profil psychologique nécessaire au succès d'une mise en place du télétravail salarié (A. BEREZIAT, J. LAGORCE, N. TURBE-SUETENS, Travail et activités à distance, Editions d'Organisation, 2000, p. 57, précité), de sorte que certaines entreprises ont recours notamment à des tests psychométriques pour s'assurer que les candidats seront capables de s'adapter au changement.

L'accord cadre sur le télétravail salarié dans le secteur du commerce en Europe, signé à la fin du mois d'avril dernier entre EURO COMMERCE - organisation regroupant, au niveau européen, les Fédérations et Syndicats Nationaux du Commerce de Gros et de Détails - et Branche Européenne de l'UNI (UNION NETWORK INTERNATIONAL) rappelle, dans son préambule, que l'introduction du télétravail salarié "ne pourra fonctionner que si les deux parties y trouvent leur intérêt".

L'accord du salarié est indispensable lorsqu'il doit travailler à domicile

La réflexion qui doit accompagner le passage au télétravail est indispensable lorsqu'il s'agit de télétravail à domicile.

Le télétravail salarié n'est, en effet, pas un télétravail comme un autre.

Si le fait, pour un commercial parcourant les routes de France, de n'avoir avec sa hiérarchie que des relations téléphoniques ou électroniques n'a rien de réellement nouveau ou exceptionnel - sinon que la transmission de rapports, dans un sens, et des instructions, dans l'autre, est facilitée - , il est un peu plus délicat de demander à un salarié de s'installer à son domicile, avec tous les moyens lui permettant d'exercer sa mission.

Au niveau de l'Union Européenne, le "dialogue sectoriel européen des télécommunications" du 10 janvier 2001 (v. J.E. RAY, in Le droit du Travail à l'épreuve des NTIC, ed. Liaisons, 2001, p. 52 et s.) définit douze "lignes directrices pour les télétravailleurs à domicile en Europe".

La première ligne directrice est libellée comme suit : "le télétravail est volontaire de part et d'autre ; des accords collectifs devraient être conclus au niveau approprié (branche, entreprise) pour fournir un cadre à l'adoption de contrats individuels. Le télétravail aura lieu si le travailleur, le travail et l'environnement s'y prêtent".

Les entreprises européennes qui ont expérimenté le télétravail salarié ont pratiquement toutes prévu que l'installation au domicile ne pouvait se faire que sur la base du volontariat. Tel est le cas de la société IBM Autriche, de la société PHILIPS Autriche, de la société ZURICH KOSMOS et d'autres sociétés européennes, ainsi que le rapporte le MIRTI consortium sur son site internet (http ://www.telework-mirti.org/handbook/francese/contr/start.htm).

Les avenants aux contrats de travail rédigés à l'occasion de l'installation du salarié à domicile prévoient en pratique (même lorsqu'il ne s'agit que de télétravail "pendulaire", combinant travail dans les locaux de l'entreprise et travail à domicile) une période "probatoire" ou "de réversibilité" qui permet le retour à la situation antérieure si l'expérience n'est pas concluante (voir par ex., notre ouvrage, Comprendre et Pratiquer le télétravail, Ed. LAMY/Les Echos, 200, p. 68).

La Convention Collective Nationale des Télécommunications, qui a tiré les conséquences des pratiques mises en oeuvre dans un certain nombre de grandes entreprises prévoit, dans son article 4-2-8, concernant le télétravail à domicile, qu'"à défaut d'accord (collectif), ce mode d'organisation du travail doit être fondé sur un principe de double volontariat et un principe de réversibilité tant à l'initiative de l'employeur que du salarié".

Indépendamment des considérations liées à la nécessité de maintenir l'intégration du salarié dans l'entreprise, l'installation d'un poste de travail au domicile du salarié nécessite que les parties s'interrogent sur les conditions du respect de sa vie privée de son domicile.

Cette question est plus importante, selon nous, que celle du changement du lieu de travail, qui conduit parfois, rappelons-le, à une modification du contrat de travail nécessitant l'accord du salarié, en fonction du secteur géographique considéré (Par ex., Cour de Cassation, Chambre Sociale, 20 octobre 1998, Bull.V, n° 431; Soc., 16 décembre 1998, Bull.V, n° 558; 4 mai 1999, Bull. V, n° 186; v. également Soc., 21 mars 2000, Bull.V, n° 114), sauf lorsque la mission est temporaire (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 21 mars 2000, Bull.V, n° 109) et bien entendu en l'absence de clause de mobilité prévoyant la nouvelle affectation.

L'arrêt ABRAM du 2 octobre 2001

C'est donc assez logiquement que la Cour de Cassation a, le 2 octobre 2001 (le même jour, elle a rendu l'arrêt NIKON, commenté dans le précédent numéro), énoncé le principe suivant :

"en statuant comme elle l'a fait (en décidant que le contrat n'avait pas été modifié), alors que l'ordre donné à Monsieur ABRAM en 1992, après la suppression du bureau dont il disposait à la Délégation Régionale de Marseille, d'installer à son domicile personnel un téléphone professionnel et des dossiers, constitu(ait) une modification unilatérale de son contrat autorisant le salarié à prendre acte d'une rupture du contrat s'analysant en un licenciement, la Cour d'Appel a violé les textes susvisés" (Cour de Cassation, Soc., 2 octobre 2001, ABRAM c/ Société ZURICH ASSURANCES, http://www.courdecassation.fr/agenda/arrets/arrets/99-42942arr.htm).

La Cour de Cassation a pris en considération deux éléments :

- d'une part, la nécessité de respecter le domicile du salarié,

- et, d'autre part, la suppression des moyens mis antérieurement à la disposition de Monsieur ABRAM pour accomplir sa mission.

La Haute Juridiction a, en statuant ainsi, entendu souligner que le télétravail à domicile, s'il est imposé, s'analyse, d'un c

Avant de se prononcer ainsi, la Cour de Cassation a souhaité édicter une règle de principe :

"le salarié n'est tenu ni d'accepter de travailler à son domicile, ni d'y installer ses dossiers et ses instruments de travail".

Il s'agit donc bien de télétravail : l'accord du salarié est requis lorsqu'il s'agit d'installer "ses instruments de travail" à son domicile (en clair : ligne professionnelle de téléphone, télécopieur, ordinateur équipé d'un modem et d'un logiciel de messagerie électronique ou - pour les salariés mal à l'aise avec les nouvelles technologies ou nostalgiques - un minitel). La Cour de cassation a précisé également que le domicile du salarié ne devait pas être utilisé pour stocker les dossiers en cours.

Le respect du domicile des salariés

Le respect du domicile est un droit fondamental "universel" (article 12 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme), protégé dans l'ensemble des pays membres du Conseil de l'Europe (article 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales) et notamment sur le territoire français (par ex., article 226-4 du Code pénal et article 9 du Code civil).

La jurisprudence a décidé, au sujet des salariés, qu'une restriction au libre choix du domicile personnel et familial par l'employeur n'était valable qu'à la condition d'être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise et proportionné, compte tenu de l'emploi occupé et du travail demandé, au but recherché (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 12 janvier 1999, Bull. V, n° 7).

Aucune intrusion dans le domicile, directe ou indirecte, ne peut résulter d'une décision unilatérale de l'employeur.

Compte tenu de la nécessité de respecter l'intimité du salarié et de sa totale liberté quant à l'usage de son domicile, l'installation d'un véritable poste de travail chez lui peut difficilement, nous l'avons vu, s'effectuer sans son accord. Les dispositions protectrices du domicile et de la vie privée et notamment l'article 9 du Code civil (ainsi que l'article 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme) s'y opposent.

A cet égard, l'arrêt ABRAM du 2 octobre 2001 s'inscrit dans un courant jurisprudentiel traditionnel de protection du domicile du salarié. Son intérêt provient de la fermeté avec laquelle la Cour de Cassation a souhaité édicter une règle de principe, posant un jalon essentiel dans la construction du régime juridique du télétravail salarié, à savoir que le passage du travail dans les locaux au télétravail à domicile constitue nécessairement une modification du contrat de travail nécessitant l'accord du salarié.

La suppression du bureau mis à disposition dans les locaux de l'entreprise.

L'employeur doit mettre à la disposition du salarié les moyens qui permettent à ce dernier d'accomplir sa mission, à savoir des moyens matériels (un bureau dans le secteur tertiaire ou dans les services administratifs des entreprises industrielles ou agricoles) techniques (moyens de télécommunications et matériel informatique) et, le cas échéant, humains (secrétariat et/ou collaborateurs).

Il est également incontestable que la définition de ces moyens appartient au pouvoir de direction de l'employeur, qui peut, par exemple, changer un salarié de bureau dans le cadre de l'organisation du service auquel il appartient, sans avoir besoin d'obtenir son accord, même pour l'installer dans un bureau moins grand avec une moquette moins épaisse... Cette modification ne constitue, en effet, qu'une "modification des conditions de travail du salarié" (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 10 mai 1999, D.1999, p. 736), sauf si cette modification a des incidences importantes sur les fonctions exercées. Or, la suppression totale des moyens matériels et/ou techniques et/ou humaines caractérise une modification des fonctions dès lors que l'emploi perd de sa substance et que le salarié n'est plus à même d'accomplir sa mission correctement.

La Cour de cassation a donc rappelé - sans trop y insister, ni qualifier, de manière générale, la suppression du bureau mis à disposition dans les locaux de l'entreprise - dans l'arrêt ABRAM que le passage au télétravail avait également pour effet (sinon pour objet) de supprimer certains moyens matériels et qu'il convenait d'en tenir compte, au delà des questions ayant trait au changement de lieu de travail et au respect du domicile du salarié.

Au demeurant, pour éviter les difficultés liées à la suppression définitive du bureau "dans les murs", les entreprises qui mettent en place cette organisation du travail prévoient presque systématiquement une période probatoire pendant laquelle le retour dans les locaux est possible.

Publié également sur NET-IRIS et les CAHIERS du DRH (éditions LAMY), dans le n° 49 du 21 décembre 2001.

Modèles de contrats :

Contrat de télétravail à domicile (développé)

Avenant de passage au télétravail (développé)

Pascal ALIX
Avocat à la Cour



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