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Le Droit de l'Entreprise

DROIT DU TRAVAIL
Peut-on licencier pour insuffisance de résultats ?
Publié le 17/12/2004
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Il est désormais acquis que le non respect d'objectifs contractualisés ne constitue plus en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement.

La solution est constante depuis le 30 mars 1999. Dans l'affaire qui a donné lieu à cette décision, une personne, engagée par la société Samsung information systems en qualité de responsable des ventes, a été licenciée moins d'un an plus tard pour "manque de résultats". Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la Cour d'appel a retenu que les objectifs "signés en connaissance de cause" n'avaient pas été réalisés, ce qui caractérisait le manque de résultats reproché dans la lettre de licenciement. En statuant ainsi, la Cour d'appel s'était conformée aux règles de droit applicables à l'époque des faits.

Mais la Cour de cassation a censuré cette décision en décidant que ni la faute ni l'insuffisance professionnelle n'avait été constatée.

La Cour de cassation avait déjà décidé, dans une décision du 3 février 1999, que "l'insuffisance des résultats au regard des objectifs fixés ne constitue pas une cause de rupture privant le juge de son pouvoir d'appréciation de l'existence d'une cause réelle et sérieuse". La Cour de cassation a considéré, dans cette espèce, que la Cour d'appel, exerçant son pouvoir souverain d'appréciation, avait pu décidé que le licenciement ne procédait pas d'une cause réelle et sérieuse. Cette décision atténuait déjà les effets des objectifs contractuels fixés par les parties.

Une décision ultérieure a précisé, au sujet des clauses d'objectifs, qu'"aucune clause du contrat de travail ne peut valablement décider qu'une circonstance quelconque constituera une cause de licenciement".

Dans cette dernière décision, une clause par laquelle "la non-réalisation d'un ou de plusieurs objectifs, à concurrence de 20% de l'objectif annuel sur chaque trimestre et pendant deux trimestres consécutifs, pourrait être considérée par la société comme un motif de rupture du contrat de travail" a été privée d'effet, car la Cour d'appel ne s'était pas interrogée sur le point de savoir si les objectifs étaient réalistes, ni si une faute du salarié avait été à l'origine du non-respect des objectifs.

La solution dégagée par l'arrêt Samsung du 30 mars 1999 a été régulièrement réaffirmée par la Cour de cassation

La même règle s'applique, bien entendu, lorsque les objectifs n'ont pas été fixés contractuellement mais unilatéralement par l'employeur.

Tel est le cas lorsque les objectifs fixés par l'employeur ont donné lieu à un accord ultérieur, les contractualisant a posteriori .

La règle selon laquelle le non respect d'objectifs ne constitue plus en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement trouve, à plus forte raison, à s'appliquer à l'hypothèse dans laquelle les objectifs ont été fixés unilatéralement par l'employeur et n'ont pas donné lieu à une acceptation de la part du salarié.

La Cour de cassation a décidé, en effet, dans un arrêt en date du 12 juillet 2000, que "le défaut de réalisation d'objectifs prévisionnels [...] fixés unilatéralement par l'employeur [...] ne constituait pas une cause réelle et sérieuse de licenciement" en distinguant a priori des objectifs fixés unilatéralement des objectifs contractuels . Cependant, cette distinction doit être nuancée car la Cour de cassation décide que les juges peuvent prendre en considération - sans considérer qu'il s'agit d'objectifs dont le non respect est susceptible de justifier en soi le licenciement - les objectifs fixés unilatéralement .

Mais dans la mesure où, en pareil cas, les objectifs ne sont pas négociés, les juges du fond examinent notamment si les objectifs fixés par l'employeur n'ont pas un caractère abusif .

La fin des clauses d'objectifs ?

Désormais, les clauses contractuelles assignant des objectifs aux commerciaux n'ont plus qu'une portée limitée.

Tout d'abord parce que la clause de résiliation pour non respect des objectifs qui y est liée ne peut faire obstacle au pouvoir reconnu aux juridictions prud'homales d'apprécier les motifs du licenciement pour déterminer s'ils constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Ensuite, parce que les objectifs fixés unilatéralement par l'employeur peuvent constituer un critère permettant - avec d'autres éléments - d'apprécier le travail d'un salarié.

La Cour de cassation abandonne, en effet, la règle selon laquelle la non-réalisation des objectifs doit faire référence à des objectifs dont la fixation résulte d'un accord des parties pour être susceptible de constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement

Cette évolution tend à limiter les effets du contrat au nom de l'ordre public social.

Ceci étant précisé, la jurisprudence ne modifie pas réellement l'équilibre entre les parties, puisque si l'arrêt Samsung information systems caractérise plutôt une évolution en faveur des salariés, l'admission de la fixation unilatérale des objectifs pourrait être considéré comme un rééquilibrage en faveur des employeurs.

C'est, en réalité, la méthode et les critères d'analyse qui changent, les juridictions prud'homales privilégiant désormais une approche pragmatique, au-delà des stipulations contractuelles qui peuvent parfois masquer la réalité économique.

En pratique, les clauses d'objectifs ont toujours une utilité évidente, ne serait-ce que pour insister sur le fait que la fixation des objectifs a donné lieu à une discussion entre les parties, discussion liée à la fixation de la rémunération variable qui en dépend.

De plus, le salarié aura, en présence de clauses d'objectifs précises, plus de difficultés à établir le caractère "abusif" ou "non réaliste" des objectifs à atteindre, comme ayant été associé à leur fixation.

Quoi qu'il en soit, la fixation d'objectifs, qu'elle soit contractuelle ou unilatérale demeure un élément essentiel, puisque "lorsqu'aucun objectif n'a été imparti au salarié", le motif d'insuffisance de résultats invoqué par l'employeur peut être considéré par les juridictions prud'homales comme n'étant "pas réel", le juge n'ayant pas même, en ce cas, à s'interroger sur le caractère "sérieux" du motif de licenciement.

L'insuffisance de résultats demeure un motif de licenciement matériellement vérifiable

La seule constatation d'une insuffisance de résultats ne constituant plus une cause réelle et sérieuse de licenciement, on a pu hésiter sur le point de savoir si la mention, dans la lettre de licenciement d'une "insuffisance de résultats" pouvait toujours répondre aux exigences de la loi.

Dans une décision en date du 23 mai 2000, la Cour de cassation a rappelé, dans une affaire concernant un salarié d'une société de courtage d'assurances, dont les résultats étaient insuffisants et qui avait été licencié pour "insuffisance professionnelle préjudiciable aux intérêts de l'entreprise" que "la mention de l'insuffisance professionnelle constitue un motif de licenciement matériellement vérifiable qui peut être précisé et discuté devant les juges du fond".

Il a été décidé, ultérieurement, que la mention d'un "manque de résultats par rapport au potentiel [du] secteur" constituait un "grief matériellement vérifiable" qui correspondait à l'énoncé du motif exigé par la loi

L'insuffisance de résultats constitue, en toute hypothèse, un motif matériellement vérifiable de licenciement lorsqu'il est étayé par des comparaisons avec les collègues du salarié licencié et qu'il se rattache à l'insuffisance professionnelle

En revanche, l'insuffisance de résultats, qu'elle soit fautive ou consécutive à une insuffisance professionnelle constitue, dans tous les cas, un motif personnel de licenciement, de sorte que ne peut reposer sur une cause réelle et sérieuse le licenciement maladroitement motivé par une "insuffisance de résultats liés à la conjoncture difficile"

Le rédacteur de la lettre de licenciement est également assez mal inspiré lorsqu'il ne vise que les derniers résultats du salarié, se privant ainsi de la possibilité de s'appuyer sur les résultats antérieurs devant les juridictions prud'homales

La rédaction de la lettre de licenciement est un art difficile. S'il convient d'être précis, sous peine de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, l'on voit qu'il est parfois préférable de ne pas être trop précis, en se bornant à formuler un "grief matériellement vérifiable" d'insuffisance de résultats, lié à des fautes du salarié ou à son insuffisance professionnelle, à moins de "viser large" et remonter aussi loin que possible dans le temps.

L'insuffisance des résultats, conséquence d'une attitude fautive du salarié

Dans une décision du 2 avril 2003, la Cour de cassation a rappelé que l'insuffisance de résultats, "si elle peut résulter du comportement fautif d'un salarié, n'est pas en elle-même fautive"

Lorsque la juridiction prud'homale saisie constate "que le salarié [a] fait preuve de négligence dans la prospection et que cette négligence [a] entraîné l'insuffisance de ses résultats", elle peut - dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation - décider que le licenciement du salarié procédait d'une cause réelle et sérieuse.

Dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt du 26 octobre 1999, un "chef de secteur" chargé de la distribution de produits Bosch (aspirateurs) été licencié pour "insuffisance de résultats (moins 43% sur l'objectif), absence de méthode de travail (clients non suivis, tournées mal organisées), attitude et esprits négatifs vis-à-vis de la société".

En d'autres termes, l'insuffisance des résultats constitue un élément objectif parmi d'autres lorsqu'il s'agit d'apprécier si un salarié a exécuté sa mission de prospection avec suffisamment de sérieux.

N'étant plus une cause réelle et sérieuse de licenciement en elle-même, l'insuffisance de résultats justifie le licenciement, même en "l'absence d'objectif réellement fixé au salarié" (arrêt du 26 octobre 1999), lorsque, rapprochée d'autres éléments, elle révèle une négligence fautive du salarié licencié.

A priori, le salarié ne peut être valablement licencié pour insuffisance (fautive) de résultats que s'il est "en faute" de ne pas avoir atteint les objectifs et si ceux-ci étaient "réalistes", que les objectifs soit fixés unilatéralement ou contractuellement .

Par ailleurs, l'insuffisance de résultats ne peut être fautive et constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement que lorsque l'attitude de l'employeur est à l'abri de la critique

Désormais, le licenciement disciplinaire pour insuffisance de résultats se conçoit essentiellement dans des hypothèses d'insubordination caractérisant, le cas échéant, la faute grave privative des indemnités de rupture (non-respect affirmé des directives, attitude calomnieuse, etc...).

L'insuffisance des résultats, révélant une insuffisance professionnelle

Dans la majorité des cas, l'insuffisance de résultats n'est pas fautive. Elle révèle une insuffisance professionnelle du salarié.

Mais faut-il encore que l'employeur soit en possession d'éléments précis qui démontrent que le salarié concerné a des résultats nettement inférieurs à ceux de ses collègues et inférieurs à ceux qu'ils devraient être en prenant en considération :

- les moyens mis à sa disposition ;

- les particularités de son secteur ;

- et la conjoncture économique.

L'insuffisance professionnelle résultant de la baisse importante des résultats du secteur

Dans certaines décisions, il est possible de rattacher l'insuffisance de résultats à son insuffisance professionnelle, bien que cette notion ne soit pas clairement utilisée.

"Exerçant le pouvoir d'appréciation qu'elles tiennent de l'article L. 122-14-3 du Code du travail", les juridictions prud'homales peuvent, après avoir constaté "une importante baisse des résultats imputables au salarié", décider que le licenciement du salarié qui en est responsable procède d'une cause réelle et sérieuse.

Dans l'affaire qui a donné lieu à cette décision, un directeur régional avait été licencié pour le motif suivant : "manque de résultats par rapport au potentiel de votre secteur". Après analyse des résultats précédents et d'un "audit interne", la Cour d'appel a considéré que son licenciement procédait d'une cause réelle et sérieuse, en insistant sur l'importance de la baisse des résultats du secteur.

La Cour de cassation s'est réfugiée, dans cette décision, derrière le pouvoir souverain des juges du fond. Elle laisse toutefois transparaître que la baisse importante des résultats sur le secteur attribué peut révéler, en elle-même, une insuffisance professionnelle.

L'insuffisance professionnelle résultant de l'absence de versement de commissions

Lorsqu'un salarié, recruté comme "commercial" ne perçoit aucune commission sur chiffre d'affaires pendant une période de 9 mois sans faire aucunement état d'un manque de moyens, de difficultés propres à son secteur ou d'une conjoncture économique défavorable, il peut être valablement licencié pour insuffisance de résultats, cette quasi-absence de résultats traduisant une insuffisance professionnelle

Plus récemment, il a été décidé qu'un employeur avait pu licencier une "salariée [qui] n'avait jamais atteint le seuil de chiffre d'affaires mensuels permettant le déclenchement des commissions" la Cour d'appel ayant constaté "que la comparaison avec d'autres commerciaux sur des secteurs voisins pour la même période lui était défavorable" et "qu'elle bénéficiait de sa précédente prospection durant cinq années sur le même secteur au profit d'un autre employeur".

La Cour de cassation a rejeté un moyen tiré de ce que l'employeur n'invoquait ni la faute de la salariée ni son insuffisance professionnelle. Elle a, pour ce faire, encore fait référence au pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond.

Bref, le licenciement peut ne pas faire référence, de manière explicite, à l'insuffisance professionnelle du salarié. L'employeur doit toutefois être en mesure d'apporter, en cas d'instance prud'homale, des éléments de preuve précis de nature à démontrer que le salarié licencié a obtenu des résultats bien moindres que ceux qu'aurait pu obtenir un autre salarié moyennement compétent et diligent occupant les mêmes fonctions.

Pascal ALIX
Avocat à la Cour



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